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RICKY RONDO : #SlamVie

L'homme est posé, réfléchi, les souffrances de la vie comme expérience, la musique comme thérapie, l'intelligence pour s'en sortir. Ricky Rondo est un slameur, il nous fait découvrir son univers, son parcours et nous donne sa propre opinion sur l'homme noir dans notre société.

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Le slam est une discipline encore méconnue du grand public, il y a moins de figures emblématiques que dans le rap par exemple. Qui t'as inspiré ?

Il y a deux grands slameurs qui sont plus connus, c’est Grand Corps Malade et Abd al Malik. Concernant Abd al Malik, lui, à la base des bases c’était un rappeur. C’est dans le même style que Kerry James, d'ailleurs, la plupart de ses représentations sont faites en piano-voix, en mode slam. C’est vrai que mes influences sont plus dans le rap mais un rap qui est proche du slam, et j’ai réussi à faire un bon mélange des deux.

Bouge comme Abdel.

Il existe différentes catégories de slam, comme il peut en exister dans le rap.

Exactement, il y a beaucoup de petits bars ou cabarets qui organisent des soirées slam et ce n’est pas forcément des trucs conscient, tu vois ? Il y a du story-telling, des personnes qui viennent raconter des histoires, parfois drôles ou d’autres qui jouent sur la richesse de la langue française en mélangeant plusieurs expressions. Le slam, c’est un art underground mais très vaste.

« Ce n’est pas forcément un art qui a pour but de toucher des milliers de personnes, c’est plus une confession de l’artiste, c’est très intimiste »

Le slam, c’est aussi une discipline qui se prête à l’amour.

Oui, parce que ça reste de la poésie. Il y a aussi les types d’instruments utilisés pour le slam qui sont beaucoup plus doux que pour le rap, ce n'est pas à base de grosses bass, c’est du piano, de la guitare, du violon, etc,… Il y a aussi la manière dont l’artiste se met en valeur, on peut penser qu’il n’y a pas de flow mais c’est faux.

Le son « Mama » est plus rappé que slamé, non ?

Je vois c’que tu veux dire. C’est parce que dans celui-là, je raconte une histoire qui ressemble à une balade au niveau des émotions. Je ne sais pas si tu écoutes Oxmo Puccino mais c’est un peu le même style. Dans certains sons, il rap et dans d’autres, où il y a des intrus de batterie, de guitare, ça n’en est pas vraiment, ni du slam mais il raconte son histoire façon crooner américain.

« Dans ce titre, je raconte comment j’ai quitté mon pays, d’ailleurs "Mama", ça désigne le Rwanda. Je suis né là-bas et je suis parti en 94 comme beaucoup de personnes »

Pour remettre les choses dans leur contexte, à ce moment-là, le Rwanda est en plein génocide.

J’avais 6 ans, on était obligé de fuir, pour beaucoup c’était la seule solution. Un an plus tôt, des gens commençaient déjà à partir parce que l’atmosphère se détériorait, tout a éclaté en 94. C’est à ce moment-là qu’il y a eu tous les flux migratoire, que ce soit vers d’autres pays d’Afrique ou vers l’Europe.

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Le génocide rwandais, opposant le gouvernement du pays constitué de « Hutus », au Front patriotique rwandais qui était accusé par les autorités d’être « Tutsi », fit plus de 800 000 morts, en majorité Tutsis, entre avril et juillet 1994. (Source Internet)

Tu n’avais que 6 ans, mais est-ce que la musique jouait déjà un rôle important dans ta vie durant ces moments difficiles ?

Franchement non, à ce moment-là, vraiment pas. Je suis arrivé ici et je ne comprenais pas le français donc je ne savais pas trop quoi écouter. J’ai vraiment commencé à m’intéresser à la musique vers 10/11 ans grâce à mon frère. C’était plutôt du rap français, NTM, IAM et compagnie. Un peu plus tard, j’ai découvert les Neg’Marron et tout le Secteur A mais c'est avec Grand Corps Malade que j'ai découvert le slam.

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C’est parfois compliqué de montrer son art à sa famille et plus particulièrement à sa mère, la tienne a-t-elle un regard sur ce que tu fais ?

Ouais. Dans le son "Mama", le refrain, qui est dans ma langue, veut dire Maman tu me manques, mais je parle de mon pays que je considère comme ma mère. Sinon, au début je ne faisais pas écouter mes sons à mes parents parce que je ne savais pas ce qu’ils allaient en penser, par la suite, je me suis dit que ça faisait partie de moi et autant qu’ils découvrent. À ma grande surprise, ils ont beaucoup aimés, particulièrement ce son-là car il représente le vécu de ma famille.

T’as beaucoup collaboré avec Don Moja, c’est quoi votre relation à tous les deux ?

Aah, ma relation avec le Moj. Si tu veux, la première fois que j’ai enregistré un son c’était avec Asaiah (NDLR: Voir notre Fast Interview with Dolfa) et Don Moja était là. C’était en 2012 et depuis on travaille toujours ensemble, on a accroché directement.

Don Moja est auteur/compositeur/interprète bruxellois actif dans le rap, la trap, la saoul,...

Damso est présent en tant que beatmaker sur ton EP « Ancre Musicale », c’est possible d’autres collaborations avec lui ?

Moi, ça me plairait vraiment mais pour l’instant il n’y a rien de prévu. On discute souvent parce que je le connais d’avant la musique. Il a un chouette style et nos deux personnages n’ont strictement rien à voir au niveau de la musicalité, ce qui pourrait faire un sacré choc. C’est d’ailleurs lui qui a fait la prod. de mon tout premier son.

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Ricky Rondo x Damso

Petit à petit, la Belgique se fait de plus en plus grande, que ce soit grâce au sport ou à la musique. Pour les artistes comme toi, est-ce qu’un changement se fait ressentir ?

Je trouve qu’il y a une meilleure cohésion entre les artistes de maintenant. Ce qui nous manque encore, c’est des médias comme le vôtre, des gens motivés qui partent à la recherche et qui font découvrir des artistes. Ici, c’est un combat, le pays est petit et on a plus de mal à se faire connaître, si tout le monde se tire dans le pattes, personne ne va jamais s’en sortir.

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En parlant de ça, tu trouves que le clash peut élever la musique ?

Je pense que ça fait partie du game mais je ne suis pas pour le clash. Je ne suis pas pour, dans le sens où, un moment donné, ça va toujours trop loin et ça sort du cadre de la musique. Quand il y a de la taquinerie, que ça reste artistique, c’est drôle. Mais quand ça devient trop personnel, que les gars mélangent ça à la vie privée, je trouve que c’est limite. C’est dommage, en plus on n’en sort jamais indemne, si tu ne gagnes pas, tu perds ton public. De toute façon dans ma discipline, il n’y a pas trop de clash.

« Je trouve qu'avant tout, le plus important, c’est de désaliéner les noirs. Certains ne vont pas oser dire ce qu’ils pensent vraiment par crainte de l’homme blanc »

Sur tes réseaux sociaux, tu avais réagit par rapport aux propos d'une candidate à l'élection de Miss Congo qui avait dit : "L'homme blanc est plus intelligent que l'homme noir."

Ce que je nous reproche, c’est qu’on est souvent dans une politique de dénonciation, on remet la fautes sur les "blancs" or qu’il y a des problèmes à gérer chez nous, des problèmes d’aliénation à résoudre. Elle, je ne peux pas la condamner, je pense qu’elle est le produit de cette aliénation. Je trouve qu'avant tout, le plus important, c’est de désaliéner les noirs car il y en a beaucoup qui pensent comme elle, et même inconsciemment. Certains ne vont pas oser dire ce qu’ils pensent vraiment par crainte de l’homme blanc.

Il y a du racisme en Belgique, mais parfois, on peut aussi mal interpréter certaines scènes de la vie de tous les jours, se victimiser, or que ça n’a rien avoir avec une quelconque origine ou couleur de peau.

Plus cool, y’a des artistes belges qui, pour toi, représente le futur de la musique ?

Il y a une chanteuse qui s’appelle Roxy Rose, je la connais depuis longtemps. L’année passée, elle a sorti un projet un peu saoul/RNB, elle n’a pas encore explosé mais elle fait vraiment du bon son. Y’a un autre gars, Shooga, il est très jeune, j’ai écouté quelques sons de lui, il a un peu le style de Bryson Tiller. Je l’ai découvert il y a un mois ou deux et franchement, il est vraiment bon.

Il te reste une seconde à vivre, tu fais quoi ?

Une seconde ? Je réunis ma famille, on mange et puis c’est tout. On mange parce que quand tu manges, c’est le moment ou tu peux parler de tout et de rien, raconter ta journée, etc...

© WHITE TEES MEDIA / Hadji